Avant de devenir le plus grand devin de la Grèce Antique, Tirésias a connu diverses expériences et notamment celle de la féminité. Camille B revisite le mythe à la lumière de notre époque.Sur les flancs du mont Hélicon vit un berger du nom de Tirésias. Alors qu’il fait paître son troupeau, le jeune homme découvre la déesse Athéna qui se baigne nue dans un lac. Tirésias ne le sait pas mais son destin est en passe d’être bouleversé. En effet, il n’est pas permis aux mortels de voir les dieux, et ces derniers, pour le punir, le transforment en femme.Ainsi, durant sept années, Tirésias fera l’expérience de la féminité : ses joies, ses peines ; mais aussi l’amour et la maternité avant d’être à nouveau changé en homme. De cette expérience, le jeune berger tirera connaissance et sagesse… À un tel point que les Olympiens ont désormais un nouveau projet pour Tirésias : en faire le plus célèbre devin de la Grèce Antique…Pour son premier album, Camille B s’empare du mythe de Tirésias. Elle le revisite avec douceur et poésie et y porte un regard résolument contemporain.
Il y a des récits qui ne cherchent pas seulement à raconter, mais à faire ressentir. Ce roman graphique, centré sur la figure mythologique de Tirésias, en est un. Ce n’est pas tant l’ancrage mythologique qui m’a marquée — bien qu’il reste présent — que l’expérience sensorielle et intime qu’il propose : celle d’un être qui, par la volonté des dieux, devient femme après avoir été homme.
L’histoire ne se limite pas à l’évidence de la métamorphose. L’autrice prend le temps — et c’est une de ses grandes forces — d’explorer en profondeur ce que signifie "devenir femme" dans ce corps soudainement autre. Tirésias vit tout : les transformations physiques, les douleurs, les menstruations, les rapports intimes, la grossesse… et les regards des autres. Cette exploration du féminin dans la chair d’un ancien masculin est racontée avec subtilité, une certaine pudeur, et une vraie sensibilité. C’est à la fois profondément contemporain et mythiquement intemporel.
J’ai trouvé l’approche assez moderne aussi dans la manière dont les personnages réagissent à cette métamorphose. Il n’est pas question ici de jugement moralisateur ou de choc dramatique : le récit est plus doux, plus nuancé. On est dans une forme d’accueil, d’interrogation parfois, mais sans rejet, ce qui donne au texte une forme de tendresse rare, presque bienveillante.
Cela dit, mon enthousiasme a été un peu freiné par quelques longueurs dans l’intrigue. Par moments, j’ai eu l’impression qu’on tournait un peu en rond, comme si l’expérience centrale était à elle seule si forte qu’elle laissait peu de place au reste. J’aurais aimé une fin plus développée, ou peut-être un contrepoint narratif qui aurait pu enrichir la portée de cette transformation. Le voyage est fort, mais il m’a manqué une dernière note, un écho plus profond pour le refermer pleinement.
Graphiquement, les planches sont jolies, douces, assez épurées, et elles accompagnent bien le récit. Pourtant, j’avoue ne pas avoir ressenti qu’elles apportaient une dimension supplémentaire au propos. Elles soutiennent, mais ne transcendent pas. C’est sans doute une attente trop grande de ma part, tant le sujet ouvrait la possibilité d’une mise en scène plus expressive, plus audacieuse peut-être.
En somme, Tirésias est un roman graphique qui mérite d’être lu pour la richesse de son propos, pour sa manière unique d’explorer l’identité à travers la transformation physique, et pour le soin apporté à cette expérience si peu racontée — celle de vivre dans deux corps, et d’en éprouver chaque vérité.
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