La chair des autres - Claire Berest



«Trouver la bonne distance est une question qui vous obsède quand vous écrivez. Mais quand vous écrivez sur une tragédie réelle et non fictionnelle, advenue à d'autres, cette réflexion vous harcèle. Rien ne peut être parfaitement honnête, ni le proche ni le lointain.


Pour se donner le droit de parler de l'autre, la politesse serait de dévoiler d'où l'on parle. De faire corps, sans s'effacer.»


Depuis toujours, Claire Berest ausculte le point de bascule de nos vies, que ce soit dans l'espace du couple ou dans l'espace social. En 2024, elle a suivi les audiences du procès des viols de Mazan pour Paris Match. De cette expérience et de son obsession du fait divers, dans un subtil jeu de miroir entre introspection et enquête, elle signe un récit fascinant sur les coulisses du mal et sur une femme devenue l'emblème du combat féministe.


Éditions Albin Michel - ⭐️: 3/5 - Amazon - Cultura



Ce n’est pas un roman, mais un texte profondément incarné. Un récit entre le documentaire, le journal de bord. Claire Berest a assisté au procès. Elle nous y emmène. Elle nous y confronte. Ce qu’elle livre ici, ce n’est pas seulement ce qu’elle a vu — c’est aussi ce que cela a éveillé en elle. Et en nous, lecteurs.


Ce que j’ai trouvé fort, d’abord, c’est le respect immense qu’elle porte à Gisèle Pélicot, cette femme victime de plusieurs viols dans sa maison de Mazan, devenue malgré elle une icône, un visage du courage, un cri qui ne s’éteint pas. L’autrice prend soin d’expliquer sa posture, ses limites, sa pudeur. Elle veille à ne pas trahir, à ne pas réduire.


Ce livre interroge le procès, mais aussi la société dans laquelle ce procès a lieu. Claire Berest s’attarde sur ce qui nous attire – presque inconsciemment – vers le mal. Cette fascination trouble que le crime exerce, surtout quand il s’incarne dans l’ordinaire : des hommes aux âges variés, issus de différents milieux sociaux, ayant tous participé à l’indicible. L’autrice tente de comprendre. Pas d’excuser, ni de justifier — mais d’approcher, de nommer, de ne pas détourner les yeux.


Et pourtant. J’ai ressenti une forme de discontinuité dans cette lecture.


"Et si le mal nous entoure, bêtes grouillantes tapies dans chaque encoignure, il nous reste en réalité souvent invisible, dissimulé dans l'ordinaire."


Le récit du procès, si fort, si poignant, s’interrompt souvent pour laisser place à des réflexions personnelles. Certaines sont justes, éclairantes. D’autres, en revanche, m’ont semblé plus flottantes, parfois donnant la sensation qu’on s’éloigner du sujet. Ce va-et-vient entre le cœur du drame et les souvenirs de l’autrice m’a parfois perdue. J’aurais aimé que le procès reste davantage le fil rouge, tant il est essentiel, tant il dit l’absurde de certaines justifications masculines, l’injustice, la violence.


Mais ce que l’on garde, au-delà des hésitations formelles, c’est le visage de Gisèle, sa détermination, sa parole, son silence. Et cette question, qui persiste : comment des hommes "comme les autres" deviennent-ils des bourreaux ?


Un livre imparfait, mais nécessaire. Qui n’offre pas de réponse, mais qui a le mérite rare d’oser regarder, et de nous inviter à le faire à notre tour.

0 Commentaires

Merci pour votre commentaire 🌿