
À tout juste 19 ans, Raphaëlle ressemble à toutes les jeunes filles de son âge. Fraîchement débarquée à Paris pour ses études d’archi, elle enchaîne à un rythme effréné les cours, les nuits blanches à travailler sur ses maquettes, les soirées à servir des bières ou à refaire le monde avec sa nouvelle meilleure amie. Mais ce que ses camarades d’amphi ne savent pas c’est que certains soirs Raphaëlle se glisse dans les draps d’hôtels parisiens et récolte quelques billets verts.
Avec son tout premier roman graphique, Sixtine Dano crée la surprise. Avec l'élégance de l'encre et du fusain elle dépeint les questions existentielles du passage de l’enfance à l’âge adulte, l’exploration de la féminité et des rapports de pouvoir dans une société marquée par le patriarcat et le capitalisme. Au scénario et au dessin la jeune artiste signe un récit terriblement moderne, à la fois intime et politique : une pépite graphique réussie à ne pas manquer.
Éditions Glénat - Cultura - Amazon - ⭐️: 5/5
Il y a des lectures qui frappent en douceur. Des récits qui, sans hausser la voix, viennent poser en nous des questions essentielles.
Ce roman graphique m’a d’abord séduite par son esthétique. Le choix du noir et blanc, travaillé au fusain, offre une matérialité rare aux émotions. Il y a une douceur brute dans les traits, dans la lumière qui naît entre les ombres. Un équilibre presque silencieux entre les bulles et les espaces blancs, comme si les non-dits comptaient autant que les mots. Et c’est peut-être cette respiration, entre les cases, qui m’a le plus touchée.
Mais la vraie puissance de ce livre réside ailleurs : dans sa manière d’aborder l’escortisme. Ce mot encore tabou, souvent réduit à des fantasmes ou des clichés. Ici, il est traité avec pudeur, avec profondeur, sans jugement, sans provocation. À travers Raphaëlle et Leïla, l’autrice explore une réalité contemporaine avec justesse. Ce n’est pas simplement un récit sur l’échange d’argent contre des moments intimes. C’est aussi l’histoire d’une jeunesse, d’un monde où les frontières se brouillent entre liberté, besoin, pression sociale et désir d’exister pleinement.
J’ai beaucoup aimé la diversité des figures masculines présentées, qui souligne une vérité importante : ces dynamiques ne sont pas réservées à une minorité. Elles nous concernent tous, parce qu’elles disent quelque chose de notre époque, de nos solitudes, de nos désirs et de ce qu’on est prêts à troquer pour y répondre.
Si j’ai une seule réserve, c’est le manque d’accès à l’intériorité de Raphaëlle. J’aurais aimé pouvoir entendre ses pensées, comprendre ses peurs, ses contradictions, ses hésitations. Le rythme du récit, assez lent, aurait pu offrir cet espace-là. Mais peut-être que ce silence est volontaire, qu’il dit aussi quelque chose de cette dissociation, de cette mise à distance entre soi et ce qu’on vit.
Ce roman graphique a le mérite de ne jamais sombrer dans le voyeurisme. Il questionne sans agresser. Il expose sans simplifier. Il est lent, intime, parfois inconfortable, mais toujours sincère.
C’est une lecture que l’on referme avec un léger vertige, celui qui naît quand une œuvre parvient à déplacer nos repères sans jamais les heurter. Une œuvre qui pousse à la réflexion — sur le patriarcat, les relations virtuelles, le prix de nos corps et de nos silences.
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