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Lettres d'hiver, lettres d'été : écrire la maternité - Lucille Dupré & Maaï Youssef

 

 “On ne sait pas ce que la maternité va faire de nous. Je ne le savais pas. C’est un plongeon dans l’inconnu. C’est terrifiant de dire ça.”

 Le temps d’un hiver et d’un été, Maaï et Lucille, deux amies autrices, se sont écrit pour se raconter leurs joies, leurs peines, leur travail d’écriture ; et pour Maaï, cet enfant qui ne vient pas quand Lucille, elle, a deux jeunes enfants et du mal à retrouver son équilibre.
Bercées par la chaleur de leur amitié, elles cherchent et trouvent les mots afin de comprendre ce qui se joue pour elles dans cette maternité qui se dérobe : la fatigue, les fausses couches, la honte, la solitude, l’envie de s’enfuir, la détresse parfois… Mais la joie aussi, l’amour, la mer Méditerranée si belle et si fantasque, les chansons de Dalida, les livres et ces stratégies de survie qu’on échafaude ensemble.
Ce qui n’était au départ qu’une conversation entre amies devient une quête essentielle et poignante, qui nous invite, toutes et tous, mères et non mères, à (ré)inventer des possibles qui nous soient justes.

Editions Belfond - 20


C’est un essai sous forme épistolaire entre deux autrices, à la situation familiale différente: Lucille à deux enfants et plus de temps pour elle. Maaï , elle, n’a pas d’enfants et peine à en avoir, suite à un parcours personnel très touchant. C’est fort, doux et cruel à la fois et chez les éditions Belfond.

Le côté épistolaire apporte à la fois un côté agréable à la lecture, plus”léger” qu’un essai qui peut paraître pour certain-e-s, un peu intimidant ou indigeste. De plus, cela donne une dimension littéraire intéressante en laissant place à deux voix, à deux amies et à cette sincérité dans les propos qui découle de ce lien intime. Les lettres s’enchaînent avec rapidité, tout en soulevant des réactions, des émotions, qui donnent envie d’ajouter sa voix, sa propre lettre entre ces pages.

Le style est agréable, les références nombreuses. La présence des extraits et pas simplement un renvoi d’un titre ou d’un article, ou encore d’une page internet est très appréciable. Tout le monde ne connaît pas toutes les références féministes, n’a pas envie de sortir son téléphone, et cela permet ainsi de s’éduquer au passage d’une façon pratique et pertinente. On s'éduque et on redécouvre les grandes figures classiques et plus modernes autour du féminisme.

La modernité, le franc-parler sur les sujets autour de la maternité, de la femme autrice (mais cela peut évidemment s’appliquer à toute autre activité, à du temps pour soi et se retrouver.) sont appréciables jusqu’à la fin de ce roman. On sent une volonté de réflexion sincère, et un besoin d’apporter sa propre pierre à l’édifice autour de ces questions sociétales importantes.

À force d’entendre les conseils plus ou moins avisés des uns et des autres, je m’étais mis en tête qu’être mère, c’est être sédentaire, avec un emploi disons classique, des horaires à peu près fixes, un salaire qui revient tous les mois. Et plus je cultivais cette croyance, plus j’avais la sensation qu’il me faudrait renoncer à ma vie, telle qu’elle est, avec sa précarité, mais aussi avec sa part de liberté, de passion et d’aventure.

Le parallèle entre ces deux situations donne à réfléchir et permet d’écrire la maternité de façon complète.

 La découverte de l’amour puissant de Lucille Dupré pour ses deux enfants, mais aussi la réalité qui existe, trop tue encore : aimer ses enfants, mais ne pas s’oublier, et se choisir sans culpabiliser. Ce sont des sujets ordinaires, mais qui ne se disent pas assez ou pas, et encore moins en public. Lucille Dupré se dévoile sur cet aspect, découvre comme tant de parents, le bouleversement émotionnel intense face à un amour plus grand que soi.

Je ne crois pas que je me trahisse si je suis fidèle à ce besoin momentané et profond d’être avec eux.

Le chemin de réflexions de Maaï Youssef , qui elle, n’a pas d’enfant “vivant” et qui tente de trouver un sens, qui questionne une autre facette de la maternité et aborde les thèmes de l’avortement, des fausses-couches et de la difficulté à concevoir. C’est évidemment intime, bouleversant, mais aujourd’hui encore, les fausses-couches pour ne parler que cède cela, ont trop tendance à être passées sous silence, minimisées et notamment sur la santé mentale (et physique) des femmes. C’est d’ailleurs un sujet abordé qu’aborde Line Papin dans son dernier roman, Une vie possible*.

Pour terminer, le questionnement autour de l’écriture a toute sa place, et ne peut que faire penser à Virginia Wolf ou encore Marguerite Duras. Les autrices s’expliquent et se questionnent, quand la société tend à uniformiser les comportements féminins, avec cette attente que la femme doit tout abandonner pour ses enfants, pour sa vie familiale tout en répondant aux attentes de la société qui attendra d’elle qu’elle sache naturellement jongler entre les responsabilités, entre travail et enfant. Et que dans sa balance morale, l’enfant et sa vie familiale passera avant toute chose. Évidemment, cela reste un choix qui peut aussi se comprendre, qui est mentionné, et ce roman donne avant tout cette réponse : chacune (et chacun) vivra ce bouleversement unique à sa façon, et que la société ne devrait avoir pour seule norme ces pluralités.

Je me demande néanmoins plus largement si être parent, ce n’est pas être toujours un peu tiraillé entre ce que nous apportent nos enfants (l’amour, la joie) et ce qu’ils nous coûtent (la solitude, la liberté). La maternité, c’est toujours une transaction (…) , pour tenter un équilibre.

De plus, l’écriture est encore perçue comme une activité superficielle, car peu rémunératrice et est d’autant plus minimisée lorsqu’elle est pratiquée par une femme. L’homme blanc, âgé et sérieux face à la femme, écrivant davantage ses pensées et émotions superficielle dans son petit journal à encore la peau dure, malheureusement. Pourtant, l’écriture est pour certain-e-s , un besoin fort et vital, une activité sérieuse qui certes, n’est pas celle la plus lucrative, mais qui en tout cas n’a pas à être marginalisé d’une façon ou une autre.

Le traitement de ce sujet peut évidemment être transposé à n’importe quel autre emploi ou activité, car les femmes sont trop encore culpabilisées par le fait de laisser son enfant à une nourrice, aux grands-parents ou à la crèche pour travailler (et la encore, il y a encore un souci autour du fait que les femmes enchaînent les heures au travail, là où un homme peut largement faire des heures supplémentaires sans susciter des commentaires.) ou pour pouvoir avoir un temps pour elle, sans qu’il soit rémunérateur ou presque.

Ce livre a su englober, pour moi, tous les aspects de la maternité, avec honnêteté : de l’avortement à la fausse-couche, des enfants et de l’amour dévorant pour eux. Les questionnements sont pertinents et invitent à y réfléchir soi-même et d’ouvrir le débat sur plusieurs aspects dans la vie quotidienne, avec soi. Ces deux autrices, pour moi, se montrent bien dans la lignée des grandes figures féministes et littéraires qui ont su parler de ces thèmes, encore trop tabous ! 

  • Une vie possible, Line Papin, chez les éditions Stock, 20€.

Mamzelle Potter - Blog littéraire

Blog littéraire né 2017 pour partager la passion des livres d’une trentenaire lyonnaise. Coups de cœur, déceptions, de la littérature jeunesse à celle classique, en passant par les thrillers et ceux graphiques ! Je partage aussi mon organisation livresque, ma vie de blogueuse littéraire.

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