C’est un ouvrage très intéressant, mais que je ne conseillerais pas à tout le monde pour diverses raisons.
Dans une enquête digne d'un thriller, Juliette Tournand démontre avec brio que Clytemnestre, héroïne détestée des tragédies grecques, est en réalité, sous la plume d'Eschyle dans L'Orestie, une dirigeante de premier plan, une mère protectrice et la créatrice de la justice en démocratie. Une figure à redécouvrir pour éclairer le temps présent.Sophocle est considéré comme le père de la philosophie et de la psychologie, le " paradigme de la tragédie " selon Aristote. Il est enseigné dans les écoles au détriment d'Eschyle, qualifié de rustre et dont les tragédies seraient moins abouties. Or, Juliette Tournand démontre avec rigueur et clarté que les tragédies d'Eschyle, L'Orestie notamment, sont des trésors, des œuvres riches, complexes et nuancées, infiniment plus subtiles que celles de Sophocle qui créa les premiers " blockbusters " au prix de simplifications abusives, notamment envers les personnages féminins. Au cœur de L'Orestie, Clytemnestre, la reine meurtrière assassinée par son fils, figure honnie depuis des siècles, se révèle en fait une femme qui a dirigé seule son pays de main de maître, sacrifié sa réputation pour rétablir la justice, puis sa vie pour, posant les fondements de la justice moderne, sauver sa descendance et rendre un avenir à sa cité.Par de courts chapitres rythmés et dans une langue fluide et accessible, Juliette Tournand relit L'Orestie sous la plume d'Eschyle, et en dévoile les multiples thèmes entrant en résonance avec les temps présents : la nature, la sagesse, la justice, la théologie, le féminin, la sociologie des foules et de la famille, la psychologie et la psychanalyse et surtout la démocratie. Une œuvre précieuse à découvrir ou redécouvrir qui se révèle aussi palpitante que les meilleures séries !
Editions Le passeur - 496p.
Bien que l’autrice aborde sa démonstration avec un vocabulaire simple et des explications claires, je pense que cet ouvrage n’est pas aussi accessible que cela. Bien que sa théorie repose sur l’œuvre classique d’Eschyle et que les passages de cette œuvre initiale sont mentionnés, je pense qu’il est plus pertinent d’en refaire la lecture avant même de lire cet ouvrage pour avoir sa propre opinion, et ainsi donner plus de corps aux propos.
Cette oeuvre d’Eschyle est l à la base de la justice pénale. Mais plus que cela encore, Clytemnestre qui apparaît au sein de l’opinion comme l’épouse qui a tué son mari, victorieux de Troie après 10 ans d’absence, avec la complicité de son amant. Son image est très souvent négative au premier abord. L’autrice, ici, tente d’en faire un autre portrait, peut-être plus juste puisqu’elle remet cet acte dans son contexte, qui suit le sacrifice d’Iphigénie. C’est un décorticage qui se fait avec minutie et j’ai beaucoup aimé cela. Plus qu’une analyse de l’œuvre d’Eschyle, c’est toute une réflexion sur la justesse (ou non) du geste fatale de cette femme qui est loin de l’image pure de Pénélope par exemple.
Juliette Tournand aborde tout cela avec un vocabulaire simple, une fluidité et un rythme dans sa démonstration. Cependant, pour moi, ce n’est pas l’ouvrage qui plaira au large public, car cela reste une analyse d’une œuvre, certes centrale, mais qui peut effrayer. Pourtant, je vous assure que cette proposition de ce personnage de Clytemnestre et donc un autre d’Agammemnon est pertinent, surtout en ces temps ou j’écris cette chronique….
Je vous le recommande donc, car malgré ce que je peux en dire ici, il reste découpé et formulé sans avoir l’impression de lire un manuel scolaire. C’est pertinent, riche et précis !
Une très belle découverte.